Editorial No 2
EDITORIAL N°2: « Une rentrée chargée, de nouvelles tendances ».
« La rentrée » de septembre/octobre 2013 a été chargée pour moi comme pour d’autres, à commencer par les professionnels du whisky.
Beaucoup de salons en France et à l’Etranger, des salons ouverts au public comme aux professionnels comme le salon « Whisky Live Paris », qui fêtait ses 10 ans d’existence (eh, oui, déjà !) à la Maison de la Mutualité, fin septembre (voir le reportage illustré à la rubrique « Evénements ») et d’autres salons, professionnels non ouverts au public ceux-là , comme le salon « Club Expert » de la Maison Dugas en Octobre au Musée des Arts Forains à Paris Bercy (un lieu superbe et mystérieux). A l'occasion de ce dernier, j'ai pu constater la vitalité de certaines distilleries telle l'américaine Labrot & Graham qui produit le seul Bourbon distillé trois fois "Woodford Reserve" et qui proposait pas moins de 5 versions à la dégustation, toutes de qualité (dont le "Double Oaked", "Four Wood", "Double-Rye"). La distillerie écossaise Glen Moray présentait un 25 ans "Portwood" finish millésimé "1986" réduit à 43 % qui aurait pu être remarquable si la décision du barman de laisser la bouteille ouverte (pour raison de défaut ou odeur bizarre détectée) n'avait pas été lourde de conséquences (après un nez et une attaque en partie prometteurs, fruités malgré une note poussiéreuse (et typiquement "O.B.E."= Old Bottle effect) mais pas rédhibitoire pour autant si demeurant à petite dose, le whisky s'est vite cassé la figure à la dégustation, et j'ai eu l'impression qu'il aurait pu être meilleur).
Le Glen Moray officiel 25 ans d'âge "Portwood finish", à 43 %, au salon Dugas (Photo : © Grégoire Sarafian)
J. & A. Mitchell présentait, entre autres, un advance-sample du dernier Springbank 9 ans (à 54 %) affiné en fûts de "Gaja Barolo", comme il y a quelque temps un Longrow. C'est une réussite, le vin est juste présent ce qu'il faut pour donner une teinte, une acidité, une "couleur" aromatique supplémentaire. Cependant il n'y avait pas toujours des nouveautés sur plusieurs stands importants hélas. La relativement bonne surprise fut d'avoir la possibilité (pas longtemps) de déguster deux collector's chacun, moi ce fut le Glen Moray puis le Bunnahabhain officiel 40 ans (à 41,7 %) et qui frise (ou dépasse, je ne sais plus) les 2500 € ! J'avoue que l'attaque du nez vaut son pesant d'or, c'est aérien, floral, presque évanescent, superbe, mais très vite le défaut de ce whisky ressort hélas, à savoir une présence écrasante du bois, mais un bois "vert" (cèdre, eucalyptus), mouillé, amer, et qui gâche un peu la fête. De là à dire qu'il était mauvais, non. Une affaire de goût d'une part (aimer le bois en excès) et de l'autre un choix de fûts (pour produire une certaine quantité de bouteilles) et un assemblage pas forcément assez judicieux. J'ai été très heureux de déguster ce whisky, attention, là n'est pas la question, c'est une opportunité rare, mais le rapport qualité/prix est loin d'être à son avantage. A côté, le millésime "1968" de 41 ans d'Adelphi (issu de 3 fûts de sherry, titrage faible, là aussi, 41,2 %) sorti il y a quelques années pour un peu plus de 200 € (en 2010) fait preuve d'un équilibre parfait et d'une complexité semble t'il plus grande.
Côté négociants, je dois dire que j'ai vu beaucoup de médiocrité, surtout sur les affinages, souvent désastreux (qu'ils soient sur un profil ultra-vineux-ou pas) chez Ian McLeod (en nette perte de vitesse depuis un moment-seul le "Smokehead" 18 ans présent sur le stand a tiré son épingle du jeu, c'est assez bien fait. Heureusement que le négociant est propriétaire de la brillante distillerie Glengoyne, dont je connaissais déjà l'excellente nouvelle gamme, qui propose de très fins single-malts au profil sherry unique. Nouveau venu aussi dans le portefeuille du négociant, la distillerie Tamdhu, remise en selle côté single-malts, présentait son tout nouveau 10 ans d'âge à 43 % (avec sa bouteille en forme de flacon de parfum) d'une délicatesse à réserver aux (vrais) amateurs de whisky (pour vous donner une idée, il se situe entre la finesse d'un The Glenrothes "1987" et le caractère malté/sherry délicat du Glengoyne 18 ans). Les bas de gamme de chez Dun Bheagan (gamme qui appartient à Ian McLeod également) ne m'ont pas paru "passionnants" (hormis un joli et léger "Islay" 8 ans, générique-un Laphroaig de toute évidence-très buvable...et le Braeval 16 ans qui ne s'en tire pas trop mal, assez plaisant, même si j'ai dégusté bien meilleur de cette distillerie). Dommage, aucun haut de gamme (de bien meilleure réputation) n'était disponible sur le stand. Le négociant Duncan Taylor, lui, avait quelques jolies choses à présenter dont un Mortlach 17 ans (à 46 %) atypique, très rond, et un très fin et expressif (thé, fruits d'été) Strathmill 21 ans (un sherry cask à 55 %), tous deux dans la gamme "Dimensions".
Mais la véritable "vedette" chez les indépendants ce fut pour moi la réapparition au salon d'un stand dédié et vraiment à sa mesure du négociant Cadenhead's (tout de même le plus ancien négociant écossais à avoir proposé des single-malts en bruts de fût), venu en force via le dynamique nouvel ambassadeur Mark Watt (que j'avais déjà rencontré) avec pas moins de 4 mises en bouteille différentes dans la nouvelle gamme dite "Small batch" (ici un Fettercairn 19 ans à 54,1 %, Glenrothes 18 ans à 46 %, Clynelish 17 ans à 57,3 %, et enfin un Bowmore 14 ans à 46 %) mais hélas pas le déjà sold-out (ou presque?) Highland Park 25 ans* de très bonne réputation et qui fait déjà l'objet d'une certaine spéculation. Tous étaient intéressants chacun dans leur genre, sans doute la puissance était symbolisée par le Clynelish atypique (très sherry) tandis que la délicatesse l'était par les autres, et pour l'exubérance florale & fruitée plutôt par le Fettercairn, et dommage que le nez du Bowmore soit supérieur à la bouche. * = (Dernière minute, dégusté récemment ce H.P. m'a paru plutôt réussi et gourmand en fruits issu de l'élevage en fût de Sherry, mais au négatif il avait perdu nombre de marqueurs aromatiques de la distillerie, et c'est dommage).
Le stand Cadenhead's au Salon "Club Expert" Dugas 2013, avec 4 whiskies et un nouveau look (Photo : © Grégoire Sarafian).
Bruichladdich était là , eux aussi, avec notamment un "Scottish Barley" et un "Islay Barley 2006" jeunes et assez "fermiers" mais de qualité, bien sûr le nouvel "Octomore" (que je n'ai pas eu le temps de déguster finalement), et un 16 ans d'âge (gamme régulière) qui m'a laissé sur la fin. Rien à voir avec le P.C. 10, le "Peat Project" ou les "Octomore" précédents, références que je préfère désormais aux Bruichladdich désormais chez cette distillerie.
Et je ne parle pas des nombreux salons étrangers que je n'ai pu visiter cette année (mais nous serons amenés à en reparler plus tard).
Une rentrée chargée, donc, mais aussi de nouvelles tendances « world whisky »:
Le mouvement de fond d’émergence pour certains, de consolidation pour d’autres continue: De « nouveaux » pays émergents du whisky comme Taïwan mettent en avant, grâce au distributeur français aussi, leur production (le single-malt Kavalan) au plus grand salon public du whisky de Paris, des pays inattendus pour la production de whisky comme l’Italie présentent leurs créations pour la première fois en France (comme la distillerie Puni), tandis que d’autres comme l’Inde reviennent enfin au Whisky Live, soit pour consolider leur position de leader en Europe (en tant que distillerie indienne) comme Amrut, de Bangalore, soit pour se faire connaître des français comme la distillerie Paul John, située à Goa. Encore plus loin de chez nous, les néo-zélandais de la distillerie fermée Willowburn sont enfin disponibles chez nous grâce à un négociant, produisant la gamme « The New Zealand Whisky ». Du côté de son voisin australien, moins de distilleries présentes en France dans les salons, hélas, et pour le moment pour moi le leadership est toujours tenu par la Tasmania distillery et leur single-malt Sullivans Cove, mais de nouvelles distilleries arrivent sur le marché local, donc c'est à suivre.
Pour revenir à l'Europe ça bouge également, avec la distillerie galloise Penderyn toujours en progrès. Il y a par ailleurs désormais pas moins de 9 distilleries en Suède, mais toujours une seule distribuée en France (Mackmyra), excellente, certes mais l'on est curieux des autres. Il en va un peu de même pour la France, avec les distilleries Warenghem (et les versions de plus en plus intéressantes de son single-malt Armorik), Bertrand (single-malt Uberach-hélas non testé cette année, désolé!), ou encore Glen Rozelieures ou P & M (on me permettra d'être bien moins enthousiaste sur les productions de ces deux dernières, jusqu'à preuve du contraire...), mais il en manque d'autres, qu'on aimerait voir plus présentes dans les boutiques parisiennes. Heureusement il y a le Domaine des Hautes Glaces (qui fait office de cadet) qui force le respect avec son approche "verte" et artisanale, et plusieurs nouveautés (dont presque un single-malt maintenant). Mais alors que les mises en bouteilles du new spirit l’an dernier étaient prometteuses, le « démon de l’affinage obligatoire » semble encore menacer l'équilibre de certaines versions et brouiller la lecture du style maison en plein devenir (un petit soucis à surveiller chez plusieurs distilleries, certaines, que je ne nommerais pas ici, s'acharnant à vouloir passer du côté obscur !). Le vrai bonheur, lui, vient de quelques sublimes exceptions, et là je pense à Glann Ar Mor, par exemple, avec encore de belles choses cette année. D'autres projets semblent être sur le point d'aboutir, en Ecosse, en Irlande, parfois même grâce à des français (à suivre d'ailleurs le projet d'ouverture de distillerie de Jean Donnay sur Islay, par exemple).
Parmi les nouvelles tendances, arrivant bien entendu toujours un peu en retard en France par rapport au reste de l’Europe, figure l’émergence de nouvelles sociétés de négoce irlandaises, comme celle de Teeling Whiskey & co, dirigée par Jack Teeling, le fondateur de la distillerie Cooley (et qui a accès à une partie des stocks de la distillerie, même après son rachat par Beam Global brands l’an dernier) et la distribution française plus large semble t’il de « The IrishMan », gamme de pot still whiskeys et de single-malts proposée par la société du même nom de Paul Walsh depuis 1999 (pour le blend) et 2007 (pour le single-malt). Signalons l'excellente version "Cask Strength" de cet embouteilleur, assez réussie. Et encore il y a d’autres projets dans les cartons de plusieurs décideurs comme la création de plusieurs nouvelles distilleries irlandaises…
Avec "The Irishman" en version brut de fût, Paul Walsh propose une alternative inédite aux blends de la Midleton distillery
tout en s'approvisionnant chez eux mais sans ajouter de whiskey de grain (que du Pure Pot Still & du single-malt).
Du côté du site web de votre serviteur, dont beaucoup de choses sont encore à consolider et à compléter, je dirais que les premières réactions sont encourageantes, notamment celles des confrères, et que je tiens compte des critiques pour essayer d’avancer pour offrir un outil plus efficace à l’internaute passionné ou juste curieux du whisky…cela prend beaucoup de temps et d’énergie, j’y reviens pas plus que cela (voir l’éditorial N°1). Depuis le précédent numéro, j’ai étoffé la présentation des pays producteurs du whisky, il me reste un pays et un topo global à faire sur les (autres) pays producteurs européens et le plus gros sera de compléter petit à petit les notices descriptives & historiques des distilleries, maisons d’assemblage et de négoce écossaises (en priorité, puis irlandaises, japonaises, états-uniens, etc…) et bien sûr continuer de transférer sur le site peu à peu mes notes de dégustation. Un travail important, et de (très) longue haleine, autant le dire.
Vous trouverez ce mois-ci sur le site, outre un reportage illustré sur le dernier salon du whisky, le « Whisky Live Paris 2013 », une interview de Daryl Haldane, ambassadeur de la distillerie écossaise HIGHLAND PARK, un article sur l’Histoire du Whisky des Etats-Unis (« relativement exhaustif » sauf pour les micro-distilleries !), l’illustration de l’article sur l’histoire du Whisky japonais (récemment complété), celle à venir de la même rubrique mais pour l’Ecosse et l’Irlande, et quelques remarques pour aider à naviguer sur le site dans les rubriques ad hoc.
Chris Maybin de Compass Box dans la pièce spéciale aménagée pour une présentation interactive (avec machine à voter!)
des nouveaux batches expérimentaux du "Great King Street", l'un tourbé, l'autre marqué par le sherry (Photo : © Constantin Sarafian).
Bonne lecture maltée !
Grégoire Sarafian, le 31/10/2013 (et modifié les 04/11 & 10/12//2013)